Le problème n'est pas l'image, mais la représentation (Francis Bacon)

Publié le par Chaffards

 

Et si celui qui ne réagit plus aux images choquantes, au lieu d'être devenu insensible à la violence, avait accédé à la plus haute sagesse platonicienne : "Je sais qu'une image n'est qu'une image" ?

Le clivage "Réalité authentique / image" n'est peut-être pas le meilleur outil pour comprendre.

Supposons une image qui existerait "en soi". Une image qui aurait acquis le statut de chose, comme un tableau, un corps, ou la voûte étoilée.

Quand est-ce qu'une image ne parvient pas à exister par elle-même ? Lorsqu'elle est indissociable de quelque chose d'autre. Lorsqu'elle représente quelque chose d'autre. Elle est alors débordée par cette autre chose et par l'affirmation qu'elle porte sur elle : "le monde est ainsi", "les quartiers sont ainsi", "le bien est ainsi"... Ce discours est le propre de la représentation.

La représentation est toujours un mensonge. Représentation implique coulisse, exploitation des intermittents du spectacle et lutte à mort des danseuses étoiles.

Mais une image qui ne représenterait rien, une image qui produirait au lieu d'affirmer, une image qui "n'imite pas le visible mais rend visible" (Klee) ce qui ne l'était pas avant elle.

Nous obtenons un nouveau clivage : représentation et exécution.

Une représentation est un mot d'ordre que l'on reçoit "Voici la vérité sur", souvent accompagné de "et voilà ce qu'il faut en penser".

L'exécution est un lien, une étincelle entre nous et le monde. Quelque chose qui va permettre de faire redémarrer l'usine individu-monde, réalimenter les multiples canaux qui circulent entre les deux, d'entrainer, d'une manière toujours particulière, le regardeur dans la valse du monde.

Un tableau de Francis Bacon ne colle aucune image sur le monde. Il traite le spectateur comme agrégat de chair, de nerfs et, à ce titre, l'incorpore aux mécanismes de la réalités, de la douceur de la peau, de la violence musculaires, de la dureté des os, de la complexité des mouvements du corps, de la proximité de la chair humaine et de la chair animal.

Bacon rend visible et ne représente rien. Il ne rend pas visible dans le sens : donner une image de choses qui sont cachées à nos yeux. Mais en faisant ce qu'il fait, et de la manière qu'il le fait, il éveille chez le spectateur autre chose. Quelque chose d'invisible avant que le tableau n'existe : torsion des corps, matière de la chair, violence politique et physique, magie de la langue en même temps chair et totalement autre (L'âme de la langue). On ne pense pas qu'à de la viande en voyant la langue de quelqu'un. "Rendre visible" est à la frontière de "produire" et "montrer". Il rend visible le lien étroit entre violence, horreur et ce que subit un corps de toute façon, même dans son état normal. la chair traversées par les nerfs, pénétrée par le os, traversées par les pulsions, les sensations, les divers flux...

 

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